Mon père Paul BRESSE 26 février 1891–19 juillet 1973
Par Corinne MOLLIET-BRESSE sa fille cadette,
Amitiés :
Paul était une personne très sociable, aimant découvrir des personnalités nouvelles, toujours avenant, cherchant à communiquer malgré tout… Je me souviens de certains de ses amis qui comptaient beaucoup pour lui.
Paul s’est lié d’amitié avec deux Rémy; il n’a pas connu et croisé un troisième Rémy, Rémy Molliet, mon fils né en 1981…
Il avait un cousin et ami fidèle en la personne de Rémy BUISSON (1892-1971) dont le père, Charles Buisson, était un cousin d’Emma Bertini. Ce qui fait que Paul et Rémy étaient petits cousins. Rémy avait un chalet à Saint-Nicolas-de-Véroce en Haute Savoie où nous retrouvions sa famille en été.
J’ai dans la tête un nom : Rémy Boulet. Il aurait été un voisin de la rue Blomet. Peut-être un musicien, peut-être un pianiste, mais je n’en suis pas sûre, mes souvenirs d’enfant sont très imprécis.
Charles LACOMBE (1885- 1965) était le fils de Louise BRESSE, sœur de Francis, père de Paul. Paul et Charles étaient donc des cousins germains. Il a été notaire, juge de paix et maire d’Artas de 1919 à 1935.
Durant sa jeunesse, Paul a eu un ami très cher, le peintre Pierre CHARBONNIER. Il était né à Vienne en 1897. C’était un peintre, un réalisateur et un décorateur. Il a conçu les décors de la plupart des films de Robert Bresson : « Journal d’un Curé de Campagne » entre autres. Dans ces toiles, le thème de l’eau revient souvent. Le Centre Pompidou possède la « Nature morte aux jarres », et d’autres musées étrangers abritent également ses toiles.
Comme nous l’avons vu précédemment, Pierre CHARBONNIER a été le collaborateur de Jean AURENCHE pour la réalisation de son film « Royaume et Empire du Rhône » en 1927.
Jacques Prévert lui a consacré un poème dont je cite quelques vers :
Paysage
(….)
Le pinceau comme une rame a caressé les eaux
Et les eaux se reforment derrière le pinceau
(…)
Toiles de Charbonnier
Ardents et calmes paysages
Couleur de sang secret
Couleur de chair et d’eau
De joie de vivre séquestrée
Et de rêves volés aux enfants
Toiles de Charbonnier
Où jamais ne transparaît en filigrane en faux trompe-l’œil
Ou en véritable trompe- peinture
L’écriteau des néo-précurseurs :
Prenez garde à la nature.
Les deux amis restaient en lien, partageant leurs projets, leurs succès s’entraidaient.
Pierre Charbonnier lui écrit en 1957 : « Je dessine en ce moment en vue de faire un album sur le Rhône avec un poème de René Char, et j’ai besoin de photos de sa source, de la sortie du Rhône à Genève et des cartes postales seraient de très bons documents. »
Il a eu un autre grand ami qui a beaucoup compté pour lui, François de Chauvigny qui l’a appelé pour participer à la restauration de son château dans le Loir et Cher. J’ai mentionné précédemment son travail d’architecte dans le paragraphe sur les commandes qu’il a reçues pour la rénovation de quatre châteaux dont celui de Chauvigny. Une amitié profonde est née entre eux deux, une correspondance et des rencontres ont suivi. Lorsque nous étions enfants, nous avons même fait un séjour en famille dans son château. Nous l’avons revu après le décès de Paul et il nous a promenés dans sa Renault Frégate à travers les rues de Vienne !
Passions :
Paul avait beaucoup d’intérêts, se passionnait pour ce qui lui tenait à cœur et cultivait ses activités avec patience. Il se tenait très informé de l’actualité, la politique, les affaires de la France, les découvertes scientifiques, et de bien d’autres sujets.
Il a consacré beaucoup de temps à la généalogie : s’attachant aux familles BRESSE et ODIER, il a constitué des arbres généalogiques de ces deux familles. Il obtenait des renseignements par courrier, demandant à consulter les registres des communes, les actes d’état civil et autres documents accessibles. Il se passionnait pour ses lointains ancêtres remontant même jusqu’au XVI ème siècle. Il a complété un grand arbre généalogique partant d’Etienne BRESSE (1732-1777), notaire à Villeneuve de Marc; et qui a épousé Louise FONTANEL en 1758. L’arbre comprend toute sa descendance jusqu’à notre génération. Cet arbre aurait été établi par le Général Pierre BRESSE (1891-1941) qui cite également en en-tête certains aïeux d’Etienne BRESSE, citant Pierre Ibert BRESSE, né en 1540. Paul a écrit cette annotation sur le document lui-même: « Ces renseignements ont été recherchés par le Général Pierre Bresse quand il était à Grenoble et transmis par lui. » On remarque que d’autres membres de la famille se sont intéressés avant lui à la généalogie BRESSE, et que notre cousin Jean-François BRESSE a pris le relais avec beaucoup de précision et de minutie.
Paul s’est aussi attaché à retranscrire des plus petits fragments d’arbre généalogique : concernant Pierre BRESSI (1665-1689), marchand à Artas, ou aussi André BRAISSI son frère (1660-1715) et leur descendance.
(Pour voir en grand, vous pouvez cliquer sur l’image )
Paul mentionne en en-tête du document : « Pierre Bressi ou Bresse, marchand à Artas. Apparaît pour la première fois à Artas en 1668 au baptême de son fils Claude. En tenant compte toutefois de la date de naissance de son enfant Claude (1668) qui pourrait être l’aîné de la famille et de la date sa mort à lui, Pierre Braissi en 1669, on peut placer en 1635 ou 1640 la date de sa naissance. »
Il mentionne uniquement la naissance des cinq enfants de Pierre Braissi : André 1660, Jean 1663, Pierre 1665, Claude 1668 et Marie-Marguerite 1669.
Pour plus de détails sur l’origine de la famille BRESSE, qui viennent de la province de la BRESSE, pour s’installer dans un village d’Artas, situé à environ 4 kms de Saint Jean de Bournay (Isère), vous pouvez consulter l’article précédent : L’origine de la famille BRESSE
Pour la généalogie de la famille BRESSE, jusqu’en 1700, consultez l’article : La famille BRESSE à Artas jusque vers 1700
En 1938, il reprend, complète et met à jour et dessine de sa main un arbre généalogique qui part de Louis TEYNARD vers 1750, et retrouve ainsi des ancêtres des BRESSE. Il rédige ces annotations en haut de l’arbre:
« Famille Teynard avec les branches Bernard et Buisson. De Louis Teynard et Catherine Cottin vers 1750, d’après le Commandant Paul Buisson en 1907, par Henri Bresse 1907. Mis à jour et complété par Paul Bresse en 1938. »
Sa grande œuvre représente un arbre généalogique qui mentionne un grand nombre de membres de la famille. Paul y fait figurer ses trois enfants Antoine, Anne et Corinne ainsi que ses neveux et cite nos aïeux du XVIII ème siècle, puis remonte même jusqu’à une branche de la famille du XVI ème siècle.
La généalogie complète de la famille BRESSE est disponible sur le site : Généalogie de Jean François BRESSE
Il s’est aussi attaché à la famille de son épouse Ninette : ODIER par son père Charles ODIER, MEYER par sa mère Renata MEYER. Il a établi et dessiné un magnifique arbre retraçant la famille MEYER de 1351 (Johann Meyer, Bâle) à Yvan (1941). Hortense Célestine MEYER (1870-1941) était la grand-mère de son épouse Ninette. C’est un arbre, généalogique sûrement, mais un arbre grandiose avec un tronc imposant qui porte l’écusson de Hans MEYER (1580-1639), originaire d’Endingen en Suisse. Hans est situé à la base du tronc, puis les branches de l’arbre se déploient portant des petits écussons ourlés, le talent de dessinateur de Paul se révèle.
Il aimait retrouver les plus lointains ancêtres, remontant encore une fois jusqu’au XVI ème siècle ! En établissant l’arbre généalogique des ODIER, il arrive même jusqu’à un personnage fort lointain qui portait le nom d’ODIER: Antoine ODIER (1698-1745).
On peut dire que sa plus grande passion a été la photographie. Compensant probablement sa surdité, Paul était très visuel, développant sa vision de l’univers qui l’entourait, aiguisant son regard sur toute chose.
Déjà, dans les années 1910, il prenait des photos avec une chambre noire sur des plaques de verre. Il photographiait la famille, les amis. Il devait tirer ces photos lui-même d’après les plaques : leur développement ne nécessite que des produits chimiques : révélateur et fixateur. Nul besoin d’un agrandisseur, puisque le négatif est au format de la photo.
Plus tard, Michel, mon mari a refait des tirages de ces plaques. Il s’est adonné lui-même à la photo, comme un deuxième métier, avec des photos de spectacle, des illustrations de livres sur la frontière, des expositions. Mon cousin, Jean-François m’a dit que c’est Paul qui l’avait initié à la photographie lors de ses passages à St Marcel. Sa fille Laetitia a voulu aussi cultiver cet art qu’elle a étudié à l’Ecole Nationale de la Photographie. Espérons que cette passion transmise perdurera dans la famille…
Quand nous habitions Gaillard en Haute-Savoie, il partait en balade sur les bords de l’Arve et photographiait des chemins, des arbres, des flaques d’eau, des paysages de neige. Cela donnait des photos en noir et blanc contrastées et mélancoliques.
Il aimait aussi beaucoup photographier les feux d’artifice de Genève qui avaient lieu tous les étés dans la rade. En aucun cas nous ne les aurions manqués même s’il fallait faire la queue pour avoir des billets. Nous avons conservé longtemps ces diapositives de bouquets de feux d’artifice, explosions de couleurs.
Malheureusement le temps n’a pas permis de les garder indéfiniment, les composants chimiques s’altérant, détruisant l’image.
Quand il a disparu il a laissé six appareils photo : deux Rolleiflex, deux Focaflex, dernière marque photographique française, et aussi un reflex Canon avec plusieurs objectifs interchangeables.
Il avait aussi fait l’acquisition d’un petit appareil automatique qui faisait des photos demi-format, le Canon Dial 35. Mon mari, Michel, s’est découvert aussi une passion pour la photographie en utilisant les appareils de Paul…
Et puis il y avait aussi son amour des chats. Nous en avons toujours eu à la maison dès que nous avons quitté l’appartement de la rue Blomet à Paris. Paul voulait toujours les rentrer à l’intérieur de la maison et j’entends encore Ninette lui répéter : « Mais Paum, les chats n’ont pas froid dehors! ». Leurs trois enfants cultivent aussi cet attachement pour les chats !
Paul aimait la nature, connaissait les espèces de plantes, de fleurs, d’arbres. Il avait la main verte et son bureau était rempli de bouture de toutes sortes.
Il était de son temps, très documenté sur l’actualité, les arts, la politique. Il portait une vénération sincère à Charles de Gaulle depuis la guerre. Je me souviens qu’en faisant les courses, on s’arrêtait au bureau de tabac-journaux pour acheter le Monde et le Figaro, et l’Aurore, journal aujourd’hui disparu. La Tribune de Genève, était plutôt pour Ninette toujours très attachée à cette ville ! Paris Match, Sciences et Vie comptaient aussi parmi ses lectures, ainsi que d’autres revues. Il suivait toute l’actualité.
Quelques uns de mes souvenirs en guise de conclusion :
« S’il te plait, dessine-moi un… violon. ». Parfois je m’approchais de lui, penché sur sa planche à dessin et je lui demandais de me faire un dessin… Dessiner quoi ? Un objet, un personnage. Il le faisait volontiers avec tendresse pour sa petite dernière, et je suivais la mine du crayon qui, en petits traits tarabiscotés, faisait apparaître mon souhait. Il illustrait toujours de petits dessins les cartes postales écrites depuis Paris, lors de ses nombreux séjours.
Le dessin était toujours tout petit, mais très détaillé et précis, comme les personnages et les arbres qui illustraient ses plans pour les rendre plus réalistes. Les plans en 3D facilitent maintenant le travail des architectes qui peuvent aisément y rajouter personnages et végétation. Mon frère aîné Antoine se souvient des ribambelles de dessins que Paul collait sur le mur de l’appartement à Paris.
A ma demande, il façonnait à table de petits animaux en mie de pain quand nous étions à table. Le pain était blanc et sa mie pétrie avec une goutte d’eau était aussi malléable que de l’argile…
J’étais fascinée par son habileté et je voyais la petite bête prendre forme sous ses doigts. Je la conservais longtemps…
Le calque était pour nous un papier très particulier, spécial : une matière grise, cassante, transparente et opaque à la fois. On ne dessinait pas dessus, on n’y écrivait pas non plus… Pourtant j’en récupérais les chutes des plans. Je me souviens avoir fabriquer des « diapos ». Paul m’avait donné les cadres en carton de ses diapos qu’il mettait dans des cadres de plastique, plus rigides et pouvant passer dans la visionneuse ou un projecteur. Dessinant des petits motifs sur calque, et les collant dans ces cadres en carton, j’avais créé mes propres diapos ! Un autre souvenir m’est présent à l’esprit. La maîtresse d’école nous avait demandé d’apporter du papier transparent, celui qui était à l’intérieur de l’emballage des plaques de chocolat à l’époque ! J’avais apporté, moi, un morceau de papier calque, créant l’étonnement de toute la classe !
Donc Paul dessinait sur papier calque avant de pouvoir « tirer les plans » sur papier ordinaire.
Je pense que le calque transparent était nécessaire pour retranscrire des morceaux de plans déjà effectués, des parties à reporter. Cela me fait penser aux dessinateurs de BD ou de dessins animés. Avant les applications possibles en informatique d’aujourd’hui !
Anne me racontait qu’elle était la préposée au collage des calques sur la planche à dessin. Il n’y avait à l’époque, ni scotch, ni papier adhésif de carrossier ou tapissier…. Paul se servait de rouleaux de papier beige, sorte de papier kraft qu’il fallait coller. Il utilisait une toute petite casserole qu’il mettait sur le feu de la cuisinière pour fabriquer de la colle blanche avec de l’eau et de la farine, ou peut-être de la farine de poisson… Cela ne réjouissait pas Ninette de le voir œuvrer devant le fourneau de la cuisine !
Paul était un spécialiste des crayons en tout genre. Il utilisait des crayons et porte mines graphite pour son travail. A la gare Cornavin de Genève, quand nous allions le chercher à son retour de Paris, nous restions de longs moments ébahis devant la vitrine de Caran d’Ache avec ses petits hérissons animés ! La plus grande boîte de crayons de couleur en comportait 30 ! J’ai eu le plaisir d’en recevoir une quand j’étais enfant…
Il avait ramené de Paris un cadeau pour Antoine : le premier Bic, stylo bille rétractable. Il avait aussi rapporté à la maison le premier stylo feutre à l’odeur entêtante et même un jour un tout nouveau fromage : le « Caprice des Dieux ! » à la saveur alléchante !
La fumée de sa pipe l’auréolait toujours, l’odeur de son tabac parfumé au miel l’imprégnait. Il faisait des ronds de fumée qui nous enchantaient…
Corinne Molliet-Bresse